Discours de Mère Prieure

Chers amis,
Nous voici réunis pour la « promulgation » du projet d’établissement. L’acte revêt une certaine solennité, comme il se doit ; il s’agit de rendre officiel, d’affirmer qu’on se reconnaît, de valider la / les direction(s) prise(s), de formuler ce qu’on veut pour l’Institution, et aussi, bien sûr, d’exprimer de la gratitude à ceux et celles qui ont, sur la durée, piloté, travaillé, réfléchi, posé des diagnostics, mis en œuvre des solutions, cherché à impliquer les divers acteurs de la communauté éducative… Leur engagement, bénévole et ajouté au poids de travail et de souci ordinaires, atteste qu’ils croient dans l’avenir de cette institution, veulent le meilleur pour elle, se sont remué les méninges et retroussé les manches pour ne pas rester de simples rêveurs ou théoriciens, même s’il est important de théoriser, et de rêver - « sérieux comme un enfant qui rêve », dit Bachelard. Je voudrais vraiment leur exprimer la gratitude de la tutelle, garante de l’esprit, comme disent les textes.
Il y a un risque à nommer, qui est celui d’omettre. Mais impossible de ne pas mentionner le « chef de projet », Robin Noël. Son engagement dans et pour cette Maison, sa charge de vice-président de l’organisme de gestion, ses compétences spécifiques, l’ont comme « imposé » : non par contrainte, mais par autorité : vous le savez, l’autorité n’est pas ce qui force mais ce qui fait grandir, ce qui procure de l’accroissement. Le « chef de projet » est la tête, selon l’étymologie. Tête pensante, certes, et d’abord serviteur - et là on est en plein christianisme : le maître, c’est celui qui sert ; facilitateur, accoucheur des esprits et des sensibilités à la manière socratique, pourvoyeur d’une méthode rigoureuse, qui aide aller au bout de ce qu’on pressent. Cela signifie, dans le secret, des centaines d’heures de travail, et pas seulement de mise en forme ; mais aussi d’encouragement, de dialogue ; tout cela avec une douce mais inflexible ténacité, qui sait où elle veut conduire ceux qui se sont mis en route et n’avaient peut-être pas, dans leur générosité initiale, mesuré que le chemin serait long et que la lassitude pourrait menacer.
Je nomme (nomine !) aussi les chefs d’équipe, les animatrices - impossible parité - et, dans leur sillage, tous ceux et celles qui ont fait partie des équipes. Je plagie 1 Co 12 : « quand la tête est honorée, tous les membres sont à l’honneur » ! - Toutes et tous ont donné de leur temps, arraché des moments de rencontre à un quotidien chargé, réussi le prodige de faire coïncider des emplois du temps disparates…
Les animatrices : Mesdames - dans l’ordre alphabétique - Claude, Gélinard, Forgereau, Lafaye et Marcoux, et (last but not least !) Sr Marie-Bénédicte, ont déployé des trésors de persuasion pour aller chercher ceux et celles qui n’osaient pas, ont entraîné leurs équipes, constitué des groupes à géométrie variable qui ont cherché et formulé le meilleur pour cette Maison : au premier chef pour les élèves, bien sûr ; mais aussi et par répercussion pour la communauté éducative. La moisson est abondante, richissime, des solutions ont été mises en œuvre, et il reste des trésors à faire fructifier. Qu’elles soient remerciées, et tous ceux qui ont bien voulu s’embarquer, de leur investissement sans faille, de leur conviction, de l’ouverture qu’elles ont voulu la plus large possible, postulant que chaque acteur de la communauté éducative détenait un regard, une parole, des aspirations qui valaient d’être entendues.
Merci donc à vous tous qui avez vraiment « fait équipe ».
L’ esprit de cette Maison, c’est vous qui l’avez fait vivre, exprimé pour maintenant, mis en forme et comme en musique ; vous avez écrit une partition, « symphonie » évidemment « inachevée » ; vous avez commencé à l’interpréter, et elle évoluera nécessairement avec les interprètes, parce que nous vivons dans une histoire qui a ses continuités et ses imprévus.
Il y a dans l’expression « projet d’établissement » quelque chose de paradoxal. Le « projet » regarde vers l’avenir, se tourne vers lui, y cherche de possibles points d’ancrage où arrimer les idées présentes. Un projet, et spécifiquement un « projet d’établissement » est une réalité dynamique, un mouvement ; c’est une prise en compte du réel et, à partir de là, quelque chose qui aidera à ne pas s’arrêter, à ne pas se croire arrivé, et aussi, bien sûr, à anticiper au lieu de subir. Nous tous, acteurs en quelque manière de la communauté éducative, souffrons souvent d’être « le nez dans le guidon », de devoir pallier dans l’urgence à ce que nous avons vu venir trop tard. Aucun projet ne peut nous garantir le confort d’avoir prévu et planifié ; mais il peut sûrement nous aider à n’être pas isolés dans le présent (ou, pire, sclérosés dans le passé).
Paradoxe, donc, entre l’énergie, le mouvement, le dynamisme que connote le mot « projet » et la notion d’ « établissement », sûrement plus statique voire péjorative. On parle d’ « ordre établi » et on entend par là de l’intangible, du difficilement réformable.
Mais ce qui est établi c’est aussi ce qui a des fondations, ce qui n’est pas bâti sur le sable, ce qui donne les garanties d’une certaine solidité. Il me semble qu’au cœur de ce paradoxe, s’enracinant également dans l’une et l’autre réalité, intermédiaire entre dynamique et statique, entre évolution et pérennité, entre adaptation et souci de recueillir un héritage, il y a ce qu’on appelle « la tradition ». Tradition qui n’est pas traditionalisme - sa caricature - mais volonté, marquée par la « lucidité bienveillante » (et là, c’est un pléonasme : si on y réfléchit quelques instants, on voit bien qu’il ne saurait y avoir d’autre lucidité), de réactiver le meilleur de ce qui a été, d’en recueillir l’esprit pour l’adapter, s’il se peut - cela veut dire « nous » adapter - au présent qui nous est donné à vivre, et à l’avenir qui se laisse déchiffrer dans ce présent.
Marguerite Léna, connue pour sa réflexion sur l’éducation, a intitulé l’un de ses derniers ouvrages : « Patience de l’avenir ». Il me semble que cette expression peut convenir pour exprimer la nature du projet d’établissement, et son lien constitutif avec le projet éducatif dont il favorise la mise en œuvre. La « patience » est une vertu humaine, donc aussi une vertu évangélique, probablement méconnue et en perte de vitesse dans une civilisation où les plus favorisés peuvent avoir en temps réel les choses qu’ils désirent (pour ce qui ne relève pas des choses, pour des réalités plus essentielles, il en va autrement). La patience accepte de durer, accepte que, comme le dit l’expression, le temps lui dure ; elle respecte - et c’est là qu’elle est vraiment une vertu éducative - le temps des croissances, l’étirement du temps des apprentissage. Mais il y a aussi dans la patience une vraie ténacité ; elle ne lâche pas ; elle attendra, et d’une attente active, ardente, - même si elle ne peut littéralement rien faire - elle attendra le temps qu’il faut mais elle n’abandonnera pas, quoi qu’il en coûte. Car « passion » et « patience » ont la même étymologie.
Que ce projet réactive donc en nous la « passion d’éduquer ». Rien d’exalté dans cette expression, nous savons tous que la tâche est aride. Puissions-nous y trouver des idées pour revivifier nos pratiques, du courage pour continuer, puissions-nous nous « réenchanter » - il faut bien sacrifier à ce mot très usité aujourd’hui par l’Enseignement Catholique - en considérant la richesse émanée du travail des équipes, et en l’assimilant, en la faisant nôtre.
Soljenitsyne écrivait que « l’urgence est de semer d’abord ce qui croît le plus lentement ». Ce que répercute le bénédictin et poète Gilles Baudry :
" Écris,
mais à mots lents
Que l’horizon aille à la ligne
au fur et à mesure
que tu avances dans la vie
dans la patience de l’avenir."
C’est à nous tous, et à notre responsabilité, que ce projet est remis comme une semence confiée à la « patience de l’avenir ».
Promulgation du Projet d’Établissement
11 février 2016
Sr S. Pierre VALLEIX, tutelle.